Fermes à sauvegarder
Comme il est impossible de tout sauver, il faut opérer un choix.
Après l’établissement de son inventaire, l’ASPAM dresse, en 1969, une liste de 12 fermes remarquables à sauvegarder situées dans la périphérie de la ville. Cette liste est remise aux autorités qui s’engagent à en tenir compte dans toute la mesure du possible. Rappelons en passant que les fermes retenues ne font l’objet, pour la plupart d’entre elles, d’aucune protection sur les plans communal et cantonal. La liste comprend les fermes suivantes :Pour conclure
L’action de l’ASPAM ne s’est pas limitée aux fermes citées ci-dessus, il y a eu de nombreuses autres interventions, souvent en collaboration avec Patrimoine suisse (section neuchâteoise) ou d’autres associations. Ajoutons que dans la plupart des cas, avec réticence parfois, la Commune, l’Etat, voire la Confédération ont contribué aux sauvetages entrepris.
A ce bilan de sauvetage globalement positif, il faut ajouter un certain nombre d’échecs : démolition de Crêtets 120
et anc. 148, de Jacob-Brandt 99, de Léopold-Robert 146, d’Eplatures 43
et de Crêt-du-Locle 10b
. Il y eut aussi des interventions qui n’ont pas abouti comme on le souhaitait (Valanvron 4 et Bas-Monsieur 7). Par ailleurs plusieurs fermes ont été victimes d’incendies
ou de transformations malheureuses (Foulets 15, Reprises10).
Rappelons enfin, en pensant à la ferme Pierre Droz-dit-Busset
qui est toujours en sursis, le principe de base selon lequel un bâtiment ne peut être valablement sauvegardé que si on lui trouve une affectation susceptible d’en assurer la pérennité.
En guise de conclusion, jetons un dernier regard aux fermes de nos Montagnes auxquelles André Tissot a consacré, avec une équipe de passionnés, une grande partie de sa vie :
« La ferme est seule
, et veut l’être, aux prises avec pas mal de problèmes qu’elle résout à sa façon.
Issue tout entière de la forêt et du rocher, à peine connaît-elle le fer.
Tournant son visage, c’est-à-dire son pignon, du côté du plus long soleil, elle s’oriente au sud et comme les vents dominants soufflent dans la direction des vallées, elle leur offre de chaque côté un biais, non sans recueillir la pluie dont elle a besoin et se faire igloo en hiver, au point de ne plus apparaître alors que comme un pli de neige, sous lequel elle attendra autant qu’il faudra. Tout ce qu’elle doit protéger est à elle, ou plutôt sous elle. »
André Tissot, in Revue neuchâteloise n°25, 1963.
Dossier établi par Alain Tissot, Chapeau-Râblé 23, 2300 La Chaux-de-Fonds, sur la base des ouvrages suivants :
- - Célestin Nicolet, Le couvent, Musée neuchâtelois, p. 300 à 302, 1869
- - J. Hunziker, La maison suisse, IVe partie : le Jura, Lausanne, 1907.
- - Henri Bühler, Les Crosettes, étude de géographie régionale, Extrait du Bulletin de la Société neuchâteloise de géographie, tome XXVII, Editions Attinger frères, Neuchâtel, 1918.
- - Maurice Favre, Vieilles pierres, Bulletin annuel de la section de La Chaux-de-Fonds du Club Alpin Suisse, n° 40 et 42, 1933 et 1935.
- - André Tissot, Notes sur nos fermes, Revue neuchâteloises, n° 25, p. 27 à 37, 1963.
- - Adolphe Ischer, L’habitation rurale du Jura, Revue neuchâteloise, n° 25, p. 3 à 15, 1963.
- - C. Bodinier, Le sauvetage des fermes anciennes dans le Jura neuchâtelois, Heimatschutz, n° 1 p. 9 à 15, 1966.
- - Jean Courvoisier, Les fermes du Grand-Cachot et des Arbres, Musée neuchâtelois, n° 3, p. 117 à 121, 1967.
- - Max-Henri Béguin, A La Chaux-de-Fonds la vie et la mort de nos fermes, Revue neuchâteloise, n° 39, p. 27 à 38, 1967.
- - Jean Courvoisier, Les monuments d’art et d’histoire du canton de Neuchâtel, tome III, Editions Birkhäuser, Bâle, 1968.
- - André Tissot, Léon Perrin, Autour de la ferme du Grand-Cachot, La Chaux-de-Fonds, 1968.
- - André Tissot, en collaboration avec Amélie Sandoz et Pierre-A. Borel, Musée paysan et artisanal. La Chaux-de-Fonds. La Chaux-de-Fonds, 1975.
- - Raymond Perrenoud, Etre ou disparaître, le passé à la merci du présent dans les montagnes neuchâteloises, Revue neuchâteloise, n° 72, 1975.
- - Raymond Perrenoud, Le patrimoine neuchâtelois refait, Revue neuchâteloise, n° 80, 1977.
- - Gilbert Lovis, Que deviennent les anciennes fermes du Jura ? Société jurassienne d’Emulation, Porrentruy, 1978.
- - André Tissot, La maison paysanne dans les Montagnes neuchâteloises, les Franches-Montagnes et l’Erguel, Jahrbuch für Hausforschung, Band 31, p. 154 à 177, Münster, 1980.
- - Jean-Marc Barrelet et Simone Meyrat, La construction de la ferme dans les Montagnes neuchâteloises au XVIIe siècle, Musée paysan et artisanal, La Chaux-de-Fonds, 1981.
- - André Tissot, Transfert d’une ferme jurassienne au Musée de Ballenberg, Nos monuments d’art et d’histoire, n° 2, 1985.
- - André Tissot, Lucien Tissot, Paul-André Humberset, Vingt ans d’ASPAM, Musée paysan, La Chaux-de-Fonds, 1985.
- - Marcel Garin et Michel Clerc, Vieilles pierres 1933/1993, Nouvelle revue neuchâteloise, n° 40, 1993.
- - Raoul Cop, La ferme des Montagnes neuchâteloises, Edition : Raoul Cop, La Chaux-de-Fonds, 1995.
- - André Tissot, Chronique de la ferme des Brandt, La Chaux-de-Fonds, 1998.
- - Pierre-Arnold Borel, Historique et généalogie des propriétaires de la ferme des Brandt aux Petites-Crosettes pendant quatre siècles, La Chaux-de-Fonds, 2001 et 2006.
- - Pierre-Arnold Borel, Famille Ducommun dit Verron communière du Locle et de La Chaux-de-Fonds bourgeoise de Valangin Branche de la Haute fie au Valanvron, (concerne Grenier 27), La Chaux-de-Fonds, 2001 et 2008.
- - Archives de l’ASPAM.
Les photographies de A. Tissot, Ph. Graef, C. Roulet et F. Perret illustrant ce texte ont été digitalisées grâce à la précieuse collaboration de Léon Daucourt à Courroux.
Collaborations
L’ASPAM collabore régulièrement avec la section neuchâteloise de Patrimoine suisse. Afin d’illustrer cette collaboration nous mentionnerons deux dossiers, celui de Cure 3 et 5 à La Chaux-de-Fonds et celui d’Envers 18, 20 et 22 au Locle, qui se sont soldés tous les deux par une issue positive.
Cure 3 et 5 à La Chaux-de-Fonds
Ces deux maisons mitoyennes font partie du cœur de la ville ancienne, à proximité immédiate du Grand Temple. Leur architecture typiquement régionale est à la fois sobre et élégante. Si elles ne sont pas datées, on les trouve représentées sur plusieurs gravures de La Chaux-de-Fonds après l’incendie de 1794. On peut donc situer leur construction au tout début du XIXe siècle, avant celle de Cure 7 et 9 qui figurent sur des gravures plus récentes
.
Dans les années 80, ces deux immeubles sont pratiquement vides, sans être encore à l’abandon, comme plusieurs immeubles de la vieille ville à la même époque. Il en va de même de Ronde 4 et 4bis, l’ancienne Boucherie sociale accolée au nord et datée de 1874.![]()
En 1986, l’Etat de Neuchâtel fait l’acquisition de l’ensemble de ces bâtiments. Il envisage de les démolir pour construire un nouvel immeuble devant abriter une maison d’éducation au travail (MET), alors qu’à l’origine il n’avait été question que d’une transformation-rénovation. Le projet propose une façade en escalier constituée d’éléments préfabriqués et un toit dont la pente est modifiée, sans tenir compte de l’aspect architectural historique du quartier.
Dès que l’ASPAM et la section neuchâteloise de Patrimoine suisse ont connaissance de ce projet, ils unissent leur force pour s’y opposer vigoureusement. En effet, le cœur de la ville ancienne risque d’être définitivement défiguré par un nouveau bâtiment dont l’implantation et l’architecture n’ont rien à voir avec le caractère de cet ancien quartier. On ne comprend pas comment l’Etat, qui devrait pourtant montrer l’exemple, cautionne un tel projet qui ne respecte ni l’ISOS (Inventaire des sites construits à protéger en Suisse) admis par le canton, ni le Règlement de la ville ancienne qu’il a pourtant sanctionné. De plus, le Service d’urbanisme communal n’a eu vent du projet que tardivement et de façon confidentielle, une raison de plus pour réagir
En janvier 1987 nous descendons au Château pour défendre notre point de vue devant la Commission financière du Grand Conseil et c’est à nous qu’il incombe de présenter la maquette du bâtiment projeté que nous n’avions jamais vue précédemment ! Incroyable mais vrai ! Plusieurs membres de ladite commission sont sensibles à notre argumentation, même si nous avons entendu toutes les platitudes et les clichés d’usage concernant « le progrès que l’on n’arrête pas » et la nécessité « de ne pas tout garder ».
En février de la même année nous proposons au Conseil communal une visite guidée des deux immeubles. Il répond favorablement à notre invitation et participe in corpore à la visite qui ne manque pas d’impressionner plusieurs de ses membres. Cela nous encourage à poursuivre notre action.
Dans une lettre du 21 avril1987, la direction des Travaux publics informe les services de l’Etat que le Conseil communal refuse le projet, « tout en restant ouvert à toutes propositions respectant les règlements en vigueur ». Par ailleurs, la commission d’urbanisme a elle aussi donné un préavis négatif unanime.
Ainsi, la construction d’un nouveau bâtiment, qui aurait irrévocablement défiguré le quartier par une architecture inadéquate - ni d’accompagnement, ni de rupture -, était définitivement enterrée. Dès lors, il a fallu chercher une solution consistant à maintenir la MET à cet endroit en l’intégrant aux immeubles existants.
Il faudra encore de nombreuses et longues tractations pour aboutir à une solution satisfaisante.
Les deux maisons mitoyennes de même que les locaux de l’ancienne Boucherie sociale seront finalement démolis. Cure 3 et 5 seront reconstruits sans en modifier l’implantation (comme le prévoyait le premier projet) et en respectant scrupuleusement le volume, la toiture, les ouvertures et l’aspect général de l’ancien bâtiment. Les tailles des portes et fenêtres ainsi que les chaînes d’angles, soigneusement mises de côté lors de la démolition, seront remontées dans la nouvelle construction
. L’intérieur du bâtiment sera entièrement neuf et adapté à la nouvelle affectation. La partie située en contrebas du côté de la rue de la Ronde sera réalisée dans une architecture d’accompagnement adaptée à l’ensemble.
Dès lors, la reconstruction s’effectue dans de bonnes conditions grâce au suivi des travaux assuré par le Service d’urbanisme. L’enveloppe du bâtiment est conforme à ce que nous demandions et la MET peut prendre possession des nouveaux locaux dans les années nonante.
En conclusion, l’action conjointe de l’ASPAM et de Patrimoine suisse a permis, avec le soutien du Service d’urbanisme et du Conseil communal, de sauvegarder l’ensemble remarquable de l’enceinte du Grand Temple, cœur de la ville ancienne.
Avec la patine du temps, qui sait encore que les immeubles de Cure 3 et 5 ont été démolis et reconstruits ? Preuve est faite que, dans certaines circonstances, le « faux vieux » s’impose dans la mesure où il est réalisé avec soin en respectant les caractéristiques et l’aspect du bâtiment d’origine.
Envers 18, 20 et 22 au Locle
L’ASPAM et la section neuchâteloise de Patrimoine suisse sont également intervenus au Locle, à plusieurs reprises, pour tenter d’empêcher une succession de démolitions qui allaient gravement porter atteinte au centre de la localité, déjà partiellement vidée de sa substance par la démolition, entre autres, de la rangée d’immeubles de la rue Bournot.
La démolition de l’Hôtel des Trois-Rois et la construction d’un nouvel hôtel style Allemagne de l’est à l’architecture et aux teintes affligeantes, n’ont pas pu être enrayées, de même que la pose, pour coiffer le tout, d’une sculpture censée représenter le « dieu des eaux » !
Dans le même contexte nous sommes par contre parvenus, avec la collaboration des Monuments et Sites, à imposer la reconstruction de l’immeuble Temple 23, qui menaçait de s’effondrer, en respectant son volume et l’aspect de sa toiture. Malheureusement le beau perron situé du côté sud a été supprimé et la façade ouest - initialement en pierre de taille - a été revêtue de pierre artificielle ainsi que les entourages de portes et de fenêtres et ceci en dépit de nos vigoureuses interventions. Quant au toit, prévu mansardé pour gagner de la place, nous avons obtenu qu’il soit reconstruit en maintenant son aspect d’origine en demi croupe, malgré l’adjonction de deux rangées de lucarnes. Ainsi, la silhouette de Temple 23, situé en tête de massif, a pu être préservée, même si dans le détail cette reconstruction ne répond pas à nos attentes.
Nous avons également tenté - sans succès - d’empêcher la démolition pure et simple de « La Violette » cette élégante ferme urbaine, dont nous n’avons pu récupérer que les tailles.
Le dossier Envers 18, 20 et 22
a heureusement connu une issue plus favorable. Ces trois immeubles bordant la rue de l’Envers du côté nord, appartenaient à la ville du Locle, le 18 et le 22 étaient inoccupés depuis un certain temps. La commune n’était pas disposée à les rénover, elle envisageait même leur démolition.
Nous sommes intervenus pour empêcher que la plaie béante de la Place Bournot ne s’agrandisse encore un peu, en insistant sur la qualité architecturale de ces trois maisons et sur la nécessité de les restaurer afin d’éviter de défigurer la rue de l’Envers, une des belles rues de la Mère commune.
Suite à diverse tractations et à notre insistance, la caisse de pensions de l’Etat est devenue propriétaire de ces trois immeubles - que la ville du Locle lui a vendu pour un prix symbolique - et elle a accepté non sans réticences de les rénover. Il faut souligner le rôle positif joué par une institution d’état pour sauvegarder un patrimoine sérieusement menacé.
Les travaux entrepris ont permis de rafraîchir l’enveloppe extérieure et d’aménager les appartements selon les exigences du confort moderne. De plus, du côté nord, une zone de verdure a été aménagée, ce qui met en évidence la discrète élégance de ces trois maisons du milieu du XIXe siècle, à la sauvegarde desquelles nous sommes fiers d’avoir contribué.

















